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Mâ, honneur, mah, grandeur : c’est de ces deux phonèmes archétypiques
d’origine indo-européenne que proviennent mos et maiorum. L’honneur de
la grandeur c’est-à-dire honorer ce qui est plus grand que nous tel est le
legs fait à l’homme selon Rome, et c’est pour nous, modernes, un héritage
qu’il faut faire émerger à nouveau, qu’il faut nous réapproprier et que nous
devrions avoir la capacité de faire résonner en nous.
Maiorum, et non magnorum, qui signifie tous les grands, parce qu’il ne
s’agit pas de nostalgie du passé, et pas davantage maximorum, au sens de
principes éternels, parce qu’il ne s’agit pas d’une utopie hors de portée,
mais bien maiorum, c’est-à-dire les meilleurs, les plus grands, l’élite de ceux
qui nous ont précédés.
De même, plutôt qu’avorum qui aurait signifié la simple origine génétique,
ou patrorum, qui aurait fait référence à la seule hérédité historique ou
culturelle, on préféra maiorum, c’est-à-dire tous ceux qui, dans le temps et
l’espace, à travers leur exemple, nous ont indiqué l’azimut à suivre pour
emprunter la voie d’une existence droite, honorable, digne, juste. 

Non pas non plus l’habitus, c’est-à-dire la routine propre à un individu, ni
l’usus ou la consuetudo (même si, juridiquement, ils en sont souvent
l’équivalent) lesquels désignent le chemin suivi par la société ou le plus
grand nombre, mais bien le mos, c’est-à-dire la conduite personnelle, le
comportement, l’éthique, la norme selon laquelle nos aïeux affrontaient
l’existence. Un viatique, en somme, pour devenir meilleur et sur lequel
l’homme et la société sont appelés à se régler.
C’est sur le mos que se sont fondées les lois romaines lesquelles avaient
pour limites de devoir affronter les contingences et le temps qui passe et
sur les mores, qui dans un contexte sacré, militaire, politique, civil et
domestique, restèrent supérieurs à toute norme juridique en tant
qu’émanations d’idéaux inaltérables et qu’héritage intangible.
Être un exemple et suivre les exemples qui préexistent à la loi et sont
supérieurs à toute règle écrite du fait que, à la différence de n’importe
quelle constitution humaine, le mos est à la fois éternel et contingent telle
est la voie des ancêtres.
Ainsi le mos, par conséquent non pas en tant qu’usage ou mode, mais que
réalisation la plus haute de soi, non pas en tant que règle propre aux
foules ou aux majorités mais à une aristocratie apparaît-il comme quelque
chose qui, toujours, doit guider les hommes tout au long de leur traversée
de l’histoire. Précisément parce qu’il atteint au substantiel et à
l’archétypique, le mos maiorum nous incite à l’action désintéressée, à nous
élever, à devenir meilleur, à savoir affronter le devenir et le changement en
nous réclamant de l’esprit toujours vivant qui donna naissance à Rome et
fit sa grandeur.
Voilà ce que Festus Pompeius dit à ce propos : « Le mos est ce qui fut institué par nos pères, c’est l’antique mémoire des anciens qui plaçait au-
dessus de tout le soin des choses sacrées et les rites à accomplir ».

On ne peut faire l’économie d’une vision du monde religieuse, spirituelle,
telle qu’elle s’incarne au cours de l’histoire au travers de la pratique
quotidienne qui doit rythmer l’existence d’un vrai patricien. C’est pourquoi
dans le passage cité, Festus parle des sacra, des choses sacrées, ce qui est
réservé par l’homme au divin, l’espace et le temps que l’on dédie aux
principes éternels qui se perpétuent dans les rites, les cérémonies et
l’esprit des sacrifices : tout ce qui transforme, transcende, transfigure notre
condition terrestre pour la hisser jusqu’au divin et la sublimer dans le culte.
Pour nos aïeux, toute action devait commencer par une invocation aux
Dieux, être accomplie selon le jus et s’achever par une action de grâces.
Horace, dans ses Odes ne chante-t-il pas : « Si aujourd’hui, Romain, tu
domines toujours sans rival, c’est uniquement parce que tu es resté fidèle
aux Dieux : c’est pourquoi tu dois leur attribuer le commencement et la fin
de toutes choses ».

Le mos incite à se dominer soi-même, à transformer tout geste en rite et
toute activité en culte, il s’exprime en ordonnant le temps et l’espace et se
renouvelle selon la cyclicité, à travers une vie conçue comme un sacrifice
qui reconnecte, élève et parachève nous exhortant à adopter une vision
héroïque et tragique de l’existence.
La nécessité de l’action et des rites à accomplir en découle, car ce n’est qu’à
travers l’action droite qu’il est possible d’expérimenter la voie de la
grandeur. Il s’agit donc d’une mémoire vivante, qui nous indique avant
tout ce qu’il faut préserver et cultiver : les gestes nobles qui ennoblissent,
exprimant une profonde dévotion envers la justice, l’ordre, l’harmonie et la
beauté telles sont les modalités pour y avoir accès. Une mémoire qui plonge ses racines dans l’éternité, issue de la substance universelle elle-
même, mais qui se manifeste au sein des peuples et des cultures, exprimant ainsi sa volonté de s’enraciner dans le multiple afin de s’enrichir
de la complexité.
Cette Idée voulut élire domicile dans l’Urbs, là où la robur, la force avec
laquelle Romulus et par conséquent Rome s’imposa à la remora (la
faiblesse, le doute, l’inertie), d’où vient le nom de Rémus et de la ville que
ce dernier voulait fonder sur l’Aventin, la colline du géant Cacus, brigand
sanguinaire qui symbolise le désordre et que vainquit Hercule. Tout au
long de l’histoire de Rome, l’Aventin fut la colline où résidaient ceux qui
étaient étrangers, hostiles à la Ville ou bien ses hôtes (selon les diverses
acceptions, négatives autant que positives, du mot) et qui, à ce titre,
étaient tenus à l’écart de l’espace sacré du pomerium.
Cet idéal de force disciplinée qui devait s’imposer au monde possède des
origines divines : il résulte de l’union du sang de Vénus (l’amour) et de celui
de Mars (la guerre).
Douze hommes se rassemblèrent ensuite autour du fondateur, douze
frères luperques, bergers et guerriers, douze comme les caractères de
l’homme, les mois de l’année, les phases de la vie, les années du parcours
de Jupiter dans les maisons du zodiaque. C’est ce cercle rituel qui fera
fonction de pôle d’attraction d’où procédera, en ce carrefour de l’histoire, le
mythe civilisateur.
Dans le pomerium, Romulus traça le cardo et le decumanus, fit descendre
dans l’utérus de la Saturnia tellus (l’umbilicus Urbis) la semence céleste, y
mélangea les terres d’origine des pères fondateurs afin qu’ils s’unissent en
un seul et même sang, allumant le feu sacré d’une race nouvelle qui sera
capable d’accueillir la Victoire ailée.
Les fratres devenus patres doivent exercer la potestas consistant à se
dominer eux-mêmes et à protéger ce qui leur est confié, condition
nécessaire pour être des hommes libres et premier degré du cursus
honorum au sein de l’exercice des magistratures sacrées à laquelle doit succéder l’auctoritas, cette faculté de faire prospérer ce qui nous est confié, jusqu’à assumer la charge de l’imperium, dont l’objectif consiste à
transposer sur la terre l’ordre divin symbolisé par l’aigle de Jupiter.
Et voici que les verges des douze sont assemblées autour du manche de la
hache, formant le faisceau licteur. Des liens tissés entre les guerriers des
gens primitives naît alors la Res publica, et le sigle SPQR (Senatus Populusque Romanus) sera le rappel constant du pacte sacré vivificateur conclu devant le dieu de la fidélité (Dius fidius) et père de la justice (jus pitar), afin de pérenniser le lien entre l’ensemble des citoyens et les principes lumineux qui régissent le monde le pacte avec les Dieux, la Pax Deorum.
Le premier Rex a tracé la ligne d’horizon, fixé le cap et stabilisé la frontière
entre l’ordre et le chaos, il a conclu le pacte afin que cette race nouvelle,
fruit d’un sol et d’un sang, puisse devenir le guide des autres peuples. Ce
privilège, qui tire son origine de la volonté de Romulus, devra être
reconduit, de génération en génération, par le sacrifice.
C’est à l’activité des cives (ceux qui habitent), au sang des miles (ceux qui
marchent), à l’exemple des magistrati (ceux qui administrent), au soin des
flamini (ceux qui gardent la flamme), à la conduite des patres et à la
dévotion des matrones que l’on doit la grandeur de Rome.
Sur la colline du Palatin se réunissent tous les Quirites, constituant la curia
(co-viria), c’est-à-dire l’assemblée des vir, de ceux qui cultivent et exercent la virtus, cette force d’âme qui s’épanouit chez celui qui est maître de lui-
même. La virtus est la voie des héros, de l’ascète guerrier, de celui qui accepte l’héritage du sacrifice et incarne l’esprit tragique : pour lui, vita
militia est super terram.
Le mos maiorum constitue l’axis mundi des fils de la Louve : ultime
témoignage de l’Âge des Héros, il indique aux hommes de l’Âge de fer la
route du ciel sous les enseignes de l’Aigle impériale.


« Bien que la mort soit le destin assigné à tous par la nature,
la virtus, qui est propre à la race et à la gens romaines,
est seule en mesure de récuser la cruauté et le déshonneur de la mort.
Conservez donc cette virtus, Quirites,
Que vos ancêtres vous ont laissée en héritage.
Tout le reste n’est que fausseté, incertitude, caducité, impermanence.
Seule la virtus est intangible et ses racines sont inextirpables :
Jamais aucune force, quelle qu’elle soit, ne peut l’ébranler,
Jamais elle ne peut être déplacée de son axe ».
CICERON
Seul le vir est un homme libre. La déesse Libertas n’est pas, comme on le
prétend de nos jours, un droit que l’on exige ou que l’on implore, mais un principe qu’il convient de faire valoir, d’affirmer, de cultiver et d’honorer.
Être libre signifie s’affranchir des liens de l’être pour atteindre à l’essence
non pas vivre au fil de l’eau, au gré de nos passions désordonnées, de nos
errements et de nos peurs, mais au contraire nous opposer avec force aux
pulsions viles et contradictoires qui se manifestent en nous et autour de
nous.
Affronter la question de la déchéance intérieure permet d’agir contre
l’ennemi à vaincre de même que combattre, sans nul besoin d’alibis ou de
justifications, l’injustice et l’abjection nous permet d’agir positivement sur
notre propre intériorité.
Celui qui est libre imprime sa volonté disciplinée à chacun de ses actes
lequel devient alors œuvre d’art et s’oriente naturellement vers le bien,
tandis qu’il impose une direction au destin à travers l’acceptation de son
sort ce qui implique d’être à la hauteur des événements en acceptant
d’affronter la souffrance et la mort, de parcourir le chemin de l’existence en
affirmant l’origine héroïque et divine de l’homme.
La virtus ne s’acquiert pas par des expédients, elle ne se déguise pas et ne
peut pas non plus être imposée au commun des mortels : elle s’impose
d’elle même et s’épanouit chez celui qui la pratique, chez l’homme intégral
qui, avec un soin jaloux, en fait son étoile polaire.
Tel est le défi dont nos aïeux nous ont donné l’exemple à imiter : réaliser le
monde idéal à partir de soi-même invoquer les forces « numineuses » afin
d’extraire du Sang des héros et de l’Esprit des dieux immortels le courage
et la sagesse nécessaires afin d’accomplir son propre destin.
Comme Hercule, nous devons affronter les douze monstres qui nous
barrent la route du Ciel. Et ce n’est qu’à travers la constance et la pratique
que l’on accède à la virtus, ce n’est qu’à travers l’exemple, l’engagement et
l’apprentissage que la virtus peut fleurir chez celui qui la cultive : seule la
lutte permet de ceindre sa propre couronne de lauriers et de rejoindre les
Champs Élysées.
Mais la virtus reste un simple exercice de la volonté ou de la force brutale si
elle ne vise pas à affranchir l’homme des liens serviles du vice et de la
bassesse. Or, pour ce faire, la pietas est nécessaire.
Pius provient du radical pu qui exprime la pureté, le fait de devenir clair,
limpide, blanc et, par suite, exempt d’attaches, de souillures et de
contradictions.
Selon l’acception latine, pieux désigne celui qui, avec bienveillance, sens du
devoir, responsabilité et sans crainte, oriente chacun de ses actes
uniquement vers ce qui est de nature à renforcer la rectitude de son action.
Pour les Romains, c’est le cas lorsqu’on agit au nom des seuls liens sacrés
et indestructibles pour la défense desquels il est non seulement possible mais encore nécessaire d’imposer sa propre volonté et que se justifie
l’usage de la force : la transcendance, la société et la famille.
Ainsi la piété est-elle le trait d’union religieux établi et entretenu par
l’homme pur, le Pieux, celui qui n’agit ni pour lui-même ni pour satisfaire
un caprice, mais pour la défense des principes spirituels, des normes
sociales et des liens du sang et de l’amour.
Ce n’est qu’en agissant de façon détachée et selon la justice en vue de
préserver de tels liens qu’il est possible d’avoir un comportement
réellement désintéressé et que l’on peut, ce faisant, s’affranchir de ces
pulsions désordonnées qui nous dégradent et nous détruisent.
Faut-il rappeler que Virgile qualifie Énée de « pieux », afin de souligner que
sa fuite de Troie n’était pas motivée par la peur de mourir et le désir
égoïste de sauver sa vie, mais qu’elle répondait au devoir d’assurer le salut
de ses Dieux, de sa culture et de sa race ? De même, dans ses Élégies,
Properce n’affirme-t-il pas : « Notre puissance repose autant sur l’épée que
sur la Piété » ?
Une société, fût-elle composée d’hommes braves et droits, ne peut
subsister sans qu’à la base règnent l’affection et l’amour mutuels, le désir
de faire société qui se développe chez des êtres qui éprouvent des affinités.
C’est de la fidélité à une certaine vision du monde partagée sur un même
sol que prend forme une race. L’amour, non pas limité à un simple choix
esthétique ou sentimental, mais en tant que partage d’idéaux : c’est en cela
que le désir de s’unir exprime la volonté de donner naissance à quelque
chose qui nous transcende.
Faire confiance à l’amour, en cherchant à s’unir à des gens de qualité dont
on se sent proche et avec lesquels partager un destin commun est une
vertu cardinale. Inversement, y renoncer est trop souvent la manifestation
d’une fragilité intérieure, d’un refus de s’engager qui mène à
l’individualisme, au repli sur soi et à la stérilité.
Nous ne sommes pas propriétaires de notre vie, c’est une évidence, mais
nous pouvons décider ce que nous en ferons. Or, si l’amour mutuel nous
procure une force vivifiante, il nous faut aussi savoir affronter la mort. Le
guerrier n’est pas seulement celui qui ôte la vie à l’ennemi, il est aussi celui
qui sait comment mourir : ce n’est que parce qu’on est prêt à mourir pour
son propre idéal qu’on peut protéger le monde que nous aimons de la
férocité de nos ennemis et de la sottise des médiocres.
Il ne suffit pas de savoir faire face à l’idée de la mort, il est bon aussi de
rechercher une mort qui ait du panache, une mort digne d’un homme
véritable. Ayant pleine conscience de l’éternité de l’être et de la finitude du
corps, il convient d’affronter avec hardiesse l’existence. Celle-ci est
semblable à une bougie qui, une fois allumée, se consume jusqu’au bout : à nous de décider, au cours du laps de temps qui nous est imparti, ce que
nous allons illuminer et réchauffer avec notre propre flamme.
Le Romain savait aller au-devant de la mort comme à une fête, avec
détachement et sérénité. À la base de son rapport avec la mort, au-delà de
la conscience de l’éternité de l’âme, il y avait la conviction que ceux qui
cèdent au mal par lâcheté ou par intérêt personnel ne font que livrer le
monde au chaos : ainsi, ceux qui sont prêts à capituler ou bien à accepter
les conditions de l’ennemi pour avoir la vie sauve condamnent-ils leur
propre peuple à l’esclavage.
Horace nous rappelle, à travers les mots du consul Regulus, que ce n’est
pas par la reddition que l’on sauve la patrie et que, une fois perdu
l’honneur, on ne peut le racheter ni par l’or ni par la compromission, mais
par le sang :
« Vous croyez que des soldats qui ont été échangés contre de l’or vont
rentrer chez eux avec l’impatience de se battre à nouveau ?
Vous voulez donc ajouter le préjudice au déshonneur ? Ainsi que la laine
teinte en pourpre ne retrouvera jamais sa couleur originelle, ainsi le
véritable courage, une fois perdu, sera bien en peine de renaître dans le
cœur des lâches.
Comme si une timide biche, une fois libérée du piège des filets tendus,
allait retrouver le courage de se battre ! Comme si celui qui s’est rendu à
l’ennemi perfide allait ensuite se montrer brave et plein d’ardeur ?
Est-ce que ceux qui ont senti sur leurs poignets les liens de la captivité sans
réagir, et qui ont craint d’affronter la mort, pourraient être capables
d’écraser les Carthaginois sur le champ de bataille ?
Celui qui capitule, n’ayant en tête que le désir de sauver sa vie, ne fait que
troquer la paix contre l’honneur. Honte à lui ! »
En fait, la peur de la mort s’accompagne de la conception d’un temps
linéaire et progressif. Pareille idée résulte de la perte d’un centre de gravité
et elle se fonde sur une vision matérialiste et donc focalisée sur l’existence,
sur l’illusion phénoménique d’être enchaîné à un début et à une fin à
laquelle on espère se soustraire grâce à un progrès (matériel ou spirituel)
continu qui mettrait un terme à la douleur, à la mort, au devenir, et
rendrait éternelle la condition expérimentale du moi.
Cette vision quantitative provoque l’attachement, désacralise l’existence,
occulte l’Archétype, se substitue à la Tradition, absolutise à la fois la vie et
la mort en cherchant à se soustraire à un destin subi et à fuir des épreuves
dont les modernes ne comprennent plus le sens.
L’homme intégral, gardien d’une authentique vision spirituelle, fait sienne
la nature cyclique et impermanente du temps, il sublime la peur physique
de la mort parce qu’il a conscience de l’éternité de l’Esprit. Il vit en
symbiose avec les rythmes naturels en tant qu’émanations du divin et voit dans les cycles cosmiques ce qui en constitue la substance ordonnatrice : le jus. Le calendrier exprime le perpétuel présent selon lequel se déroulent
les cycles lunaires (Kalendae) et solaires, les saisons (naissance, vie, mort,
purification) et les phases planétaires auxquelles nous nous accordons.
Dans cette musique des sphères, on contemple la manifestation de l’ordre
divin et de l’harmonie universelle : vivre en concordance avec les cycles
signifie participer à un ordre plus grand que nous. Rien n’est statique, tout
se déroule continuellement autour de l’Un : naissance, croissance, déclin et
mort sont les différentes périodes d’une unique respiration.
Cette prise de conscience délivre de l’attachement aux choses matérielles
et transitoires, elle permet la libération de l’être des chaînes de la peur et
de la mort : désormais, on ne subit plus la fascination désespérante de ce
qui est éphémère et contingent, mais on comprend qu’il existe un axe,
éternel et inaltérable, autour duquel tout tourne.
Les rituels, les fêtes et les mystères qui se transmettent ne sont pas de
simples souvenirs du passé, mais bien le perpétuel renouvellement
d’événements primordiaux, d’archétypes divins.
En vivant à nouveau et en réactivant l’Archétype, de génération en
génération, jour après jour, la Communauté lors de ces célébrations
participe à l’éternité : en se réunissant autour du feu de Vesta, elle renoue
avec ses propres origines, à la fois identitaires et célestes.
Ce faisant, la mort n’est plus ressentie comme définitive et terrifiante, mais
comme une phase de transition naturelle au cœur de quelque chose de
plus vaste – exactement comme l’hiver est une phase du cycle annuel qui
prélude au retour du printemps.
La mort n’est donc rien d’autre que le retour à la « source », au « giron
cosmique » d’où jaillit la vie pour renaître sous des formes nouvelles : de ce
fait, « l’immortalité » n’est plus une aspiration égocentrique, mais
symbolique et dépersonnalisée. À travers sa participation à la
communauté, à la tradition qui est la sienne et à la nature, l’individu
comprend qu’il transcende les limites de sa simple existence individuelle.
Nos aïeux, dans cette perspective, loin d’être d’archaïques et ignares
hommes des cavernes, sont les gardiens de la sagesse primordiale, des
figures respectées reçues en héritage. La conscience de faire partie d’un
tout redimensionne l’égo, car on se sent alors organiquement rattaché à
un système plus vaste et plus complexe, obéissant à des lois et à des
rythmes qui ne doivent rien à la volonté personnelle et auxquels on
s’accorde, on se conforme et on participe.
La virtus, selon la Voie des ancêtres, ne conduit donc pas à vouloir innover
en rompant avec le passé, mais à respecter et à transmettre la sagesse et
les valeurs d’en-haut, dans la mesure où l’homme traditionnel ne perçoit
aucune transformation substantielle dans la mutation des formes extérieures. Les vertus elles-mêmes ne sont pas conçues comme des
abstractions morales déconnectées du monde, mais comme des qualités
enracinées dans l’ordre cosmique : ainsi la justice peut-elle être vue comme
l’équilibre harmonieux des cycles, le courage comme l’énergie destinée à
affronter les périodes difficiles, la sagesse comme la capacité d’assimiler
les rythmes et d’agir ainsi en harmonie avec ce qui nous entoure.

« Quant à nous,
Nous ne demandons ni le pouvoir, ni la richesse,
Mais la liberté, que tout véritable vir
Ne perd jamais sans perdre en même temps la vie ».
SALLUSTE


Si l’on veut atteindre un plus haut degré de conscience, une discipline
personnelle est nécessaire (disciplina maiorum) : celle consistant à se
gouverner soi-même, à tenir en laisse ses pulsions et ses appétits, à éviter
les excès, à savoir se contrôler mais aussi à refuser le superflu. La vertu
d’abstinence – c’est-à-dire de renoncer à posséder, à prendre, à tirer un
profit personnel – est fondamentale, parce que la convoitise exprime une
dépendance aux choses qui est l’antithèse même du détachement qu’exige
le combat intérieur.
Il faut y être attentif, car sous le masque de l’idéal se dissimulent souvent la
recherche de ses propres intérêts – fussent-ils élevés – et le désir d’obtenir
pour la collectivité ce qu’on convoite en réalité pour soi-même, oubliant
qu’il nous revient d’incarner les principes dont nous sommes le réceptacle.
Ne pas agir en vue d’une récompense mais en fonction de ce qui est juste
et bon : c’est en cela que le Romain trouvait sa seule et unique rétribution –
et il est logique que ce soit quand Rome se reposera sur le courage des
mercenaires qu’elle connaîtra sa fin.
Une société harmonieuse n’est pas gouvernée par les appétits de ses
membres, mais par leur rectitude et par la cohésion qu’ils manifestent
dans l’adversité, lors des périodes de restrictions et de pénuries, mais aussi
lors des combats menés pour la préservation de sa propre vision du
monde, de sa race, de sa liberté et de son unicité.
Dédaigner le luxe et le confort, par conséquent, non par simple esprit de
pauvreté, mais afin de vivre de façon naturelle, en sachant apprécier ce
que l’on obtient par l’effort, par ses propres moyens, c’est en cela que
consiste la Victoire : n’être dépendant ni de la mode, ni de la publicité, ni de
l’invitation à consommer, mais rechercher ce qui est essentiel pour vivre
bien, de façon saine, belle et bonne.

Le bonheur est en nous-même, et non pas dans les choses dont nous
croyons qu’elles nous servent, alors qu’elles font de nous des serfs : ce n’est
pas une banalité, mais l’art difficile de savoir percevoir la beauté cachée
dans les petites choses de la vie quotidienne qui ne s’achètent pas, mais se
contemplent – tel est le legs de nos aïeux.
Si l’on veut parvenir à un réel détachement de la matérialité, il faut toujours
se tenir à équidistance, y compris dans ses jugements : rechercher toujours
l’équilibre, la position tierce – fuir le sectarisme, l’esprit partisan, la
surenchère facile – ne pas choisir ce qui nous plaît le plus, mais ce qui est
vrai, beau, important, élevé. La pire forme d’addiction matérialiste, c’est
l’idéologie qui se travestit en principes spirituels.
Être juste par-delà les factions, sans céder aux désirs de succès, aux
victoires à tout prix et aux solutions de facilité ni tolérer les privilèges
sectaires et le favoritisme. Se comporter de façon loyale, impartiale et
équidistante, en refusant toute vision rigidement doctrinale mais en
sachant y substituer l’action droite.
Ce n’est qu’une fois sorti de ces geôles mentales du comportement que l’on
peut vraiment devenir acteur de l’histoire et de son propre destin, que l’on
peut suivre la voie de la Vérité – où que celle-ci nous conduise –, regarder la
réalité en face et nous consacrer à l’édification d’un monde idéal.
Seul l’homme émancipé des attachements et des égoïsmes peut être
vraiment libre et mettre alors au service de la communauté son expérience
et ses talents, répondre à l’appel et se montrer digne du rôle qui est le sien
dans l’histoire.
Savoir faire croître positivement ce que l’on nous a confié, avec une
vigilance particulière en ce qui nous concerne ainsi que nos pairs et la
communauté à laquelle nous appartenons. Il nous revient non pas de fuir
nos responsabilités, en attendant que quelqu’un d’autre agisse à notre
place, mais au contraire de montrer par l’exemple la voie à suivre. Cela
implique que l’on ne se contente pas de donner corps à notre idéal
simplement avec des mots, en vivotant dans la compromission et
l’acceptation passive d’une « réalité » imposée, mais bien de vivre et de
réaliser notre idéal dans chacun de nos actes, au quotidien, au travail
comme à la maison, par notre conduite : c’est uniquement ainsi que l’on
peut songer à changer le monde.
Et pour y parvenir, il faut cesser de perdre son temps à traquer et à
dénoncer le mal qui nous entoure, mais au contraire s’attacher à identifier
le bien que tout être recèle et celui que nous pouvons nous-même réaliser.
Accomplir des actes contraires au bien et à notre propre idéal par
lassitude, résignation ou facilité revient à tuer jour après jour tout ce en
quoi nous croyons et, finalement, nous-même. Pareil comportement est souvent le propre de gens mesquins, inauthentiques, rancuniers, sans
consistance, geignards et jamais contents.
Il convient en revanche d’agir pour notre bien – le véritable, celui-là – et
celui de nos coviri. Cultiver la bienveillance vis-à-vis du monde et des autres
ne signifie pas accepter et ne pas combattre le mal qui est sous nos yeux,
mais exactement le contraire : rechercher le bien et tout mettre en œuvre
pour qu’il croisse. Cela consiste à se comporter de façon empathique,
courtoise, noble et désintéressée, mais aussi en sachant reconnaître les
aspects positifs que peuvent receler aussi les défaites et les difficultés. Être
attentif à ce qui nous entoure, aux attentes d’autrui, œuvrer à la réalisation
du bien commun toujours et partout, sans éprouver ni jalousie ni envie,
c’est cela la bienveillance : la volonté bonne dans toutes ses acceptions, la
force intérieure disciplinée qui nous rend capable d’édifier concrètement le
monde idéal dont nous parlons tant.

« Nos ancêtres ne manquèrent jamais
Ni de jugement, ni d’audace,
Mais ils ignoraient le vain orgueil qui les aurait empêchés
D’imiter les institutions étrangères qu’ils jugeaient valables.
Ce qui, chez les alliés ou les ennemis, leur paraissait bon,
Ils cherchaient à le copier chez eux avec beaucoup d’adresse :
Ils préféraient imiter, plutôt qu’envier le bon exemple. »
JULES CESAR


Chercher à faire le bien exige de savoir comprendre les motivations de
l’autre, y compris de l’adversaire : la rigidité est une simplification de la
réalité propre aux faux durs, alors qu’il faut être capable de clémence,
laquelle consiste à être suffisamment fort pour accepter l’imperfection du
monde. Ainsi l’Énéide nous enseigne-t-elle que s’acharner contre un
ennemi en difficulté ou vaincu est chose vile et bestiale, tandis que
Properce affirme : « La main de Rome victorieuse ignore la colère ».
Au sommet du Forum, au pied du Capitole et non loin de la Curie, se
dressait le temple de la Concorde : en ce lieu des assemblées, des
décisions, du culte et de la mémoire fondatrice, il avertissait que rien ne
peut durer fors l’union des cœurs. N’être qu’un seul cœur, partager des
idéaux communs mais aussi des objectifs, des espérances et des principes
sans laisser l’égo s’imposer mais en cherchant à ne faire qu’un avec l’autre
sans jamais déroger aux canons de la justice et de la vérité. Rechercher un
accord ne signifie pas se soumettre à l’opinion des autres ou de la majorité,
mais plutôt vouloir se regrouper autour du même feu pour que tous
contribuent à le maintenir allumé. 

Autour d’un feu, on s’assied et on tient conseil, on fait silence pour mieux
être à l’écoute et savoir se donner du temps pour analyser la situation et
faire mûrir les idées. Une nouvelle fois, confronter les avis et chercher à
définir des stratégies partagées n’implique nullement la compromission :
c’est une composante de la vigueur avec laquelle on défend et on met en
œuvre ses propres idées. Méritent le nom de Quirites ceux qui, siégeant
dans une assemblée d’experts, sont capables de motiver leurs propres
choix et d’évaluer les propositions qui sont faites – qui savent apprécier les
propos des savants et réfuter les divagations des imbéciles.
Cette aptitude à la confrontation des idées présuppose une cohérence
interne, dans la mesure où seul celui qui est structuré est vraiment capable
de défendre ses propres idées et de juger celles des autres avec objectivité.
Les situations évoluent, les personnes vont et viennent, les difficultés ne se
font pas attendre et quiconque se laisse déborder se transforme vite en
drapeau qu’agite le dernier vent qui souffle – mais celui qui est fort, en
revanche, reste constant dans ses résolutions et garde le cap,
indépendamment du succès ou de l’échec : le gain le plus précieux consiste
à avoir intégré en soi-même la virtus. Savoir changer d’avis, accepter les
leçons de la vie, s’adapter à un nouveau contexte n’entament en rien notre
détermination. L’homme de la Tradition ignore la rigidité : sa rectitude se
fonde sur les présupposés de l’action, sur l’exigence de ses objectifs, sur
son aptitude à maintenir la cadence sur la longue route qui mène au front.
Pour rester debout dans un monde liquide en perpétuel mouvement,
savoir cultiver sa propre intériorité est une nécessité : le champ de l’Esprit
doit être labouré, sarclé, ensemencé, entretenu, moissonné et récolté. Se
préoccuper de sa propre spiritualité, prendre soin de son intériorité avec
constance, entretenir une ritualité féconde et maintenir un rapport avec le
divin en sacralisant sa propre existence : se comporter ainsi participe de
façon fondamentale à toute ascèse véritable.
Honorer les Dieux, les Ancêtres et la Patrie relève du legs de la civilisation
et doit constituer la colonne vertébrale qui nous soutient dans les combats
de l’existence. Dans son De natura Deorum, Lucius Aurelius Cotta, s’élevant
contre les nouvelles philosophies et les doctrines allogènes, affirme : « Je
dois défendre les enseignements concernant les Dieux immortels, les
cérémonies sacrées et la religion qui nous ont été transmis par nos pères ».
Ce pacte que nos ancêtres ont conclu avec le divin ne peut être maintenu
autrement qu’en conformité avec la Justice et la Tradition : rester fidèle à
de tels principes est le mètre-étalon de tout idéal, de toute action, de toute
expérience – que ce soit sur le plan physique, psychique ou spirituel – car,
quand bien même nous devrions nous adapter au contexte historique qui
est le nôtre, cela ne devra jamais nous empêcher de poursuivre la
réalisation du bien commun.

Chacune de nos entreprises doit par conséquent être évaluée en fonction
de sa beauté et de son harmonie. Et qu’est donc la beauté, sinon que l’on
reconnaît en elle l’ordre divin ? Et l’harmonie, sinon l’équilibre de toutes les
parties ? Mais alors, le critère, en matière esthétique serait le souci de la
forme, et non pas de la substance ? La substance est ce qui compte,
objectera-t-on : mais comment pourrait-elle se manifester, si elle n’apparaît
et ne s’incarne pas dans la forme et dans l’acte ?
C’est ainsi que prendre soin de notre propre personne et de notre héritage,
y compris sur le plan esthétique et de la forme, peut devenir un terrain
d’entraînement éthique pour le vir : le style, l’ordre et l’essentialité qui en
émanent sont autant de reflets de la romanité.
Et si Rome nous invite à être attentif à la forme, qu’il soit bien clair pour les
modernes que ce n’est nullement pour faire étalage de soi et parader, c’est l’exact contraire de l’exhibitionnisme contemporain : préserver son quant- à-soi, dédaigner l’ostentation et cultiver l’impersonnalité sont des valeurs qui relèvent de la Pudeur. Cette vertu oubliée nous enjoint de garder pour nous seul notre monde intérieur, sans brader ce qui ne concerne que nous par pure vanité, que ce soit en public, sur les réseaux sociaux ou les
plateaux du cirque médiatique. Elle nous enseigne aussi à savoir rester
silencieux, à être capable de garder pour soi les secrets et les confidences,
à ne pas parler de choses qui ne nous regardent pas ni de personnes qui
sont absentes, mais aussi à fuir la vulgarité comme la frivolité. Ce n’est pas
avec des grands discours ou des cabotinages que l’on s’affirme, mais par
l’action droite.
La sincérité à laquelle nous exhortent nos aïeux n’est pas une invitation à
faire étalage de soi, mais à être des gens tout d’une pièce, qui ne se plient
pas aux circonstances – c’est-à-dire sans fard ni masque et donc droits,
directs, insensibles à l’opinion d’autrui : des gens qui avancent en arborant
leurs seuls principes. Ce dont il est question, ce n’est pas de vivre derrière
une image fausse et fabriquée de soi, mais de se montrer pour ce que l’on
est, d’un seul tenant.
Joindre la pudeur à la sincérité amène à se comporter en toute situation
avec dignité : il ne s’agit pas de se travestir ou de vouloir feindre, mais de
faire montre d’une franchise austère, en restant maître de ses émotions et
de ses pensées. Garder une attitude égale face au succès comme à
l’adversité, aux échecs et aux erreurs (constantia in adversis rebus) : ne pas
se plaindre de la douleur, de la fatigue, des difficultés et des déconvenues –
et, en même temps, reconnaître ses propres limites, ses blocages, ses
insuffisances et ses interrogations.
À l’inverse, l’absence de dignité est particulièrement visible chez celui qui se
complaît dans la polémique, discute les ordres, conteste toute autorité, se
dérobe au moment d’agir et pleurniche sur lui-même. Tout cela n’a aucune utilité et ne fait que ralentir la marche, avantager l’adversaire, paralyser la volonté, susciter la confusion et le défaitisme. Obéir, respecter les ordres de celui qui, par son mérite ou son rang, a la charge et la responsabilité de mener l’action, tel est le fondement même de l’esprit légionnaire et cela
s’appelle la discipline. Une fois répartis les rôles de chacun et l’action
engagée, on reste fidèle au poste et on exécute les ordres sans discussion.
La discipline n’est pas une contrainte exercée par les supérieurs, c’est une
exigence de fidélité que l’on s’impose à soi-même.
Critiquer ou modifier les ordres peut être utile, mais ne doit être fait
qu’avant ou après : pendant l’action, l’indiscipline n’exprime rien d’autre
que la vanité, l’impuissance et le chacun pour soi.


« Il faut construire
Notre propre existence action après action,
Et toujours s’attacher à ce que le résultat particulier
Soit conforme à nos possibilités personnelles :
Personne ne peut nous empêcher d’y parvenir.
Et si survient quelqu’empêchement extérieur,
Il ne sera jamais tel qu’il puisse nous interdire
D’agir avec justice, détachement et discernement. »
MARC AURELE


Comme l’enseigne le mos maiorum, les mots, les idées, les rêves et les
promesses ne sont rien s’ils ne sont pas accompagnés de l’acte réalisateur.
L’exemple doit être suivi, il doit être incarné : l’exemple, c’est ce que nous
devons être pour celui qui se bat à nos côtés, mais aussi pour réveiller les
âmes assoupies – c’est savoir tirer de nous et des autres le meilleur, afin
d’emprunter la voie que nous montrent l’idéal et la lignée. Sénèque ne
nous enseigne-t-il pas : « La route des enseignements est longue, tandis
que celle des exemples est courte et directe. La vie doit prendre modèle
sur les exemples lumineux » ?
La fidélité authentique, pas celle des paroles mais de l’engagement,
implique une totale adhésion à ce que nous affirmons : être véridiques,
fiables et loyaux, cohérents avec nos principes, fidèles à la parole donnée,
décidés à atteindre nos objectifs, exemplaires dans nos comportements et
dans l’exécution de nos missions. Accorder notre confiance à qui la mérite,
punir celui qui la trahit, se montrer digne de celle que l’on nous a
accordée : telles sont les trois composantes de la fidélité, laquelle s’impose
comme le fondement de toute éthique guerrière.
La fidélité repose sur la vérité, et elle est alimentée par le désir d’imiter les
héros, par l’évocation des mythes et de ceux que nous admirons. Accomplir
les seules actions dignes de nos aïeux conduit à la Gloire, qui n’est pas une médaille à exhiber, mais la conséquence du don de soi et de l’incarnation
de l’idéal.
Si agir pour donner chair au monde qui bat à l’intérieur de nos poitrines est
une nécessité, le mos maiorum nous en rappelle une autre : celle de
n’entreprendre qu’après avoir bien réfléchi aux conséquences et rassemblé
l’ensemble des moyens nécessaires pour atteindre nos objectifs, sans
compromettre le travail accompli ni les acquis de notre patrimoine matériel
et culturel. Il ne saurait être question de mettre en danger soi-même et les
autres par simple impatience d’agir, mais de se préserver en vue du
moment où nous aurons besoin de toute notre énergie. C’est en cela que
consiste la vertu de Prudence, qui nous exhorte à ne pas suivre l’instinct et
l’impulsivité, mais à peser le pour et le contre et à ne risquer que lorsque
c’est opportun, utile ou indispensable.
Avoir conscience de la portée et des effets de nos propres actions, en
conséquence, nous invite à ne pas céder à la désinvolture, mais à
comprendre l’importance de la maîtrise de soi en toutes circonstances, en
restant lucide et imperturbable. Il s’agit d’adopter un comportement
réservé, approprié, responsable, attentif, précis et factuel. Pour le Romain,
vivre conformément à la virtus, c’est d’abord agir avec pondération –
comprise à la fois comme la conscience du juste équilibre et comme la
capacité de se concentrer sur l’exercice de ses responsabilités.
Pour nous, il s’agit donc de nous comporter de la meilleure des façons
possibles en fonction du rôle qui est le nôtre, de nos propres compétences,
du contexte dans lequel nous évoluons et de la conjoncture. Que ce soit
dans la paix ou dans la guerre, qu’il s’agisse d’amis ou d’ennemis, l’honneur
nous commande de nous comporter de façon juste, digne et noble.
Patauger dans l’émotion, la vulgarité et le matérialisme débilitant n’est pas
digne de l’homme : de même qu’il convient d’aguerrir le corps par l’exercice
physique, l’âme et l’esprit doivent être eux aussi entraînés. N’est-ce pas là
un objectif que l’humanité devrait s’imposer à elle-même ?
Le loisir, l’otium, pour les Romains, ce n’était pas fainéanter mais consacrer
du temps au silence, à la méditation, au calme, à l’étude et à la
contemplation. Celui qui est fort, ce n’est pas celui qui fait du bruit, s’agite
et brasse de l’air, ni l’inculte ou le névrosé, mais quelqu’un d’équilibré, qui
tait ses émotions, qui sait écouter, qui s’informe, raisonne et argumente.
C’est précisément parce qu’il s’accorde du temps pour l’étude, la réflexion
et la méditation qu’il comprend comment, quand et pourquoi agir.
Parallèlement à l’otium, la romanité nous invite à entreprendre, à être actif
sur le plan physique, intellectuel et spirituel, à œuvrer afin que l’idée
prenne forme : mettre en application chaque jour un style et une éthique
précis en vue de bâtir ce en quoi nous croyons devrait cohabiter et
coïncider avec l’activité qui constitue notre gagne-pain. Il ne faut pas céder à la logique marchande : le but du travail n’est pas de nous enrichir ou de
« réussir », mais d’enrichir le monde dans lequel nous vivons et de faire ce
qui est juste, beau et important. Dans le cadre d’une activité
professionnelle, dès lors qu’on privilégie la qualité par rapport à la
quantité, celle-ci peut être à son tour un moyen de cultiver la beauté et de
s’élever.
Le devoir de tout homme consiste à chercher quelle est la substance des
choses, à comprendre le sens ultime de l’existence et à défendre l’ordre
universel dans le particulier en étant le reflet, sur le plan terrestre, des
principes qui possèdent une dimension spirituelle. C’est d’elle que doit
procéder la norme qui est la nôtre, à travers l’affirmation de ce qui est
beau, bon, harmonieux et lumineux. Telle est la Justice qui seule doit nous
guider, quand bien même elle ne coïnciderait pas avec les règles écrites de
l’État. C’est pourquoi nous refusons de nous soumettre à autre chose qu’à
l’impératif d’agir au nom des principes supérieurs et nous voulons nous
insurger chaque fois que nécessaire lorsqu’il s’agit de défendre les foyers
et les autels de la patrie : seul est libre celui qui parcourt les chemins de
l’existence en suivant la voie qui mène au dépassement de soi. La grandeur
acquise par une âme ainsi rédimée la rend capable de partager sa propre
force avec celui qui en a besoin, afin que tous atteignent la cîme.
Prôner la modération et la pratiquer, avoir toujours le sens de la mesure,
devenir maître du temps, identifier nos défauts, nos lacunes et nos
faiblesses pour les corriger, apaiser les passions désordonnées, nous
limiter afin de nous affranchir de ce qui nous limite : se vaincre soi-même,
telle est la véritable Victoire. Il faut se comporter avec sa conscience
comme si c’était une épée : en la forgeant dans le feu, en la battant avec le
marteau sur l’enclume, en la trempant dans l’eau froide.
C’est seulement alors que notre ère pourra contempler à nouveau la
Majesté, cette lumière héritée de nos aïeux et qui doit s’incarner dans le
Rex, le Pater, le Vir – en elle étincelle la fierté d’appartenir à une race, à une
histoire et à une culture, le désir de s’élever, la volonté de retourner au
royaume d’Hyperborée et de montrer la voie du Ciel aux générations
futures.
La noblesse du patricien ne sera plus, comme aujourd’hui, un simple titre
héréditaire mais deviendra un Esprit à perpétuer, une virtus guerrière et
légionnaire à prendre comme exemple, afin que surgissent les Princeps,
c’est-à-dire ceux qui composent l’avant-garde : ceux qui sont les premiers à
répondre à l’appel.


« Ô, Romain, souviens-toi
De gouverner les peuples avec autorité
Et d’imposer la paix avec la justice, 

D’épargner les vaincus
Et d’écraser les superbes »
VIRGILE
Il est vain d’espérer changer quoique ce soit en ce monde à partir de
quelque chose d’extérieur à nous : pour le faire, il est nécessaire de passer
du statut d’homme (humus, fait de matière) à celui de vir (porteur d’une
force procédant de l’esprit et de la volonté).
Celui qui n’est resté qu’un homme cherche souvent à trouver à l’extérieur
des solutions à ses propres problèmes : on met tous ses espoirs dans tels
ou tels types de gouvernement, institutions, lois, dirigeants
charismatiques, idéologies ou compromis – en priant le ciel pour que ces
éléments venus de l’extérieur nous conduisent vers un changement, voire
un retour au « bon vieux temps ».
La véritable résurgence de l’Âge d’or (Aurea Aetas) ne peut germer qu’en
nous-même. C’est une semence qui provient du monde de l’Esprit et doit
être plantée dans notre humus pour germer ensuite grâce à la Volonté. Et
pour que ce trésor puisse se transmettre à la lignée, il doit être nourri avec
constance et abnégation.
C’est nous qui sommes l’avant-garde du monde que nous voulons voir
renaître. Or, pour qu’advienne cette transformation intérieure, il est
essentiel de donner un cap à notre existence, de nous reconnecter à
quelque chose de plus grand que nous, de faire en sorte que notre vie
quotidienne soit guidée par des principes éternels, célestes, divins, tels
qu’ils émanent de la voie indiquée par nos aïeux. S’efforcer d’être à la
hauteur de l’exemple qu’ils nous ont laissé doit nous aider à nourrir la
dimension métaphysique à laquelle chacun doit tendre. Les ancêtres, les
héros fondateurs, les pères de la patrie, les grands personnages de
l’histoire ont transformé le monde en sacrifiant leur vie à la cause, ils ont
cultivé une vision intérieure qui les a poussés, dans le bien comme dans le
mal, à réaliser leur propre idéal, quelqu’en soit le prix, avec courage et
détermination.
Cette phase préliminaire et nécessaire de la construction de soi mais aussi
d’une communauté et d’une réalité qui nous soient propres ne signifie pas
renoncer à l’engagement politique ou social : elle est la prémisse
inaliénable de toute action concrète destinée à laisser une marque dans
l’histoire. Toute initiative visant au changement de ce qui nous entoure
exige de solides assises intérieures mais aussi de savoir nous doter, étape
par étape, des structures et des moyens concrets pour que nos réflexions
puissent prendre corps.
Pour que renaisse Rome, la Rome éternelle, il faut d’abord que renaissent
des Romains – et pour cela, nous avons besoin d’un mythe unificateur qui

produise les forces capables de guider les consciences à travers les
épreuves et les sacrifices qu’une telle entreprise exige. Une fois que nous
nous serons construits sur la base de valeurs fondatrices capables
d’inspirer engagement et audace, alors seulement il sera possible de
mettre en place les structures capables d’assurer leur inscription dans la
durée – mais aussi d’affranchir notre peuple ainsi rédimé du chantage de la
contingence et de sa dépendance à des dogmes qui lui sont étrangers.
Il s’agira alors de construire un castrum, une citadelle fortifiée, qui pourra
fonctionner de façon autonome et répondre à toutes les exigences de la
communauté, mais en coupant les ponts avec l’idéologie dominante sur le
plan à la fois spirituel et pratique (politiquement, socialement,
économiquement, etc.). Il faudra ensuite parachever l’ouvrage, le rendre
crédible, à la hauteur des objectifs qui sont les siens, afin de lui permettre
de prendre toute sa place dans l’espace et dans le temps.
Faut-il le dire, tout cela devra tirer son inspiration de la Tradition, laquelle
nous enseigne que c’est uniquement à travers l’orthopraxis, l’action droite,
que l’on peut réaliser quelque chose d’authentique et qui soit porteur de
sens. La virtus dont nous avons parlé plus haut, c’est cette force qui
impulse une orientation, une dignité et une noblesse véritable à notre
existence, qui nous libère et nous rend capables de donner corps aux
espoirs dont nous sommes les dépositaires.
Les forces divines qui sont à l’œuvre dans l’histoire ont leur siège dans le
cœur de l’homme intégral, et elles attendent d’être mises au service des
plus hautes aspirations de l’âme, grâce à un engagement de tous les
instants. Si nous voulons que le monde resplendisse à nouveau, il faut que
toutes nos actions aient pour inspiration des principes éternels tels que la
justice, la beauté, l’harmonie, l’ordre, l’équilibre et l’action désintéressée,
pure et qui nous transcende.
Tout ce qui nous est nécessaire vit pour l’éternité dans l’esprit mais aussi
dans le sang et le sol. C’est pourquoi nous devons aimer nos origines,
notre histoire, notre culture, notre communauté, notre biotope et la terre
sur laquelle nous vivons.
Chaque action positive et accomplie avec droiture, aussi infime et
insignifiante qu’elle paraisse, porte en elle le germe d’une renaissance et
d’un enrichissement.
À plusieurs reprises, nous avons évoqué la nécessité d’être un exemple, car
c’est uniquement de cette façon que l’on peut entraîner ceux qui sont à nos
côtés et attirer des gens qui nous ressemblent ou dont nous sommes
proches. De même que ce n’est que dans l’action que l’on peut mettre à
l’épreuve la volonté et la pureté d’intention de nos compagnons, ce n’est
qu’en donnant chair au monde dont nous rêvons que nous pouvons nous
mesurer à la réalité et jeter les bases d’un changement véritable.

Il ne faut pas se renfermer sur soi ni s’isoler, évidemment, même si l’on
peut avoir la tentation de se retrancher : il est au contraire essentiel de
rechercher des synergies avec ceux qui poursuivent des idéaux eux aussi
transcendants, et d’œuvrer ensemble afin de se fixer un cap et un modèle à
suivre.
La mentalité actuelle, façonnée par l’idéologie, le dogmatisme et le
fanatisme, héritage de siècles de décadence, ne nous aide guère, chacun
cherchant chez l’autre une homogénéité et une égalité irréalisables dans
les faits – de sorte que beaucoup de projets échouent pour des questions
de personnes et des chicanes « cathares », au nom d’une prétendue pureté
doctrinale. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’entre des
gens différents il y aura toujours des différences, mais c’est précisément
dans sa capacité à entraîner dans une même direction ascendante et
singulière toute la diversité et la complexité du réel que réside la puissance
de l’imperium.
À nous de devenir ce que nous voudrions que le monde soit, en
témoignant dans notre vie de tous les jours de ce qui est juste. La lumière
que nous devons allumer en nous peut, et doit, illuminer notre route et
celle de ceux que nous croisons. Nous ne pourrons « inspirer » notre
prochain et les nouvelles générations que si nous sommes nous-mêmes « inspirés » – au sens de brûler du feu venu d’en haut. Comment pourrait-
on dissiper l’obscurité simplement en rêvant de lumière et en espérant un

miracle ? Pour que, dans la nuit, tous puissent voir, il faut allumer une
petite flamme puis l’alimenterer -- et plus la nuit sera obscure et plus la
lumière, si faible soit-elle, se verra de loin.
Tout ce qui précède n’est que le travail sur soi préliminaire consistant à
nous réapproprier le contrôle de notre propre vie et de ce qui nous
appartient. Ce n’est qu’après être devenus les véritables maîtres de nos
choix que nous pourrons réacquérir l’auctoritas, c’est-à-dire la capacité
d’être les acteurs de nos propres destins et les bâtisseurs de ce en quoi
nous croyons. Alors seulement nous pourrons nous vouer à l’imperium, en
termes de mission ordonnatrice de justice, de concorde et de pacte sacré
conclu avec les hommes, afin que notre lignée puisse offrir droit de cité et
accueillir les forces lumineuses venues d’en haut qui régissent l’histoire.
Quand ce feu sera allumé à nouveau, serons-nous prêts à le propager et à
le défendre contre les puissances de la remora qui s’acharnent à maintenir
le monde dans les ténèbres ?


« La chose la plus belle et la plus honorable,
C’est de placer sa confiance dans la virtus. »
CATON le Censeur

Nous avons tenté, dans les pages qui précèdent, une entreprise à vrai dire
impossible : celle de donner un aperçu de la vision éthique et spirituelle
héritée de l’Urbs, en tentant de condenser quelques-uns des concepts les
plus importants de la romanité qui sont parvenus jusqu’à nous – en
gardant en tête que, par-delà la réalité historiciste, c’est le Mythe de Rome
qui constitue le véritable don, le legs de notre passé sur lequel nous
devons veiller jalousement.
Notre conviction, c’est que la romanité a tout fait pour préserver ce qui
était parvenu jusqu’à elle de la Tradition primordiale, en combattant sans
relâche les forces de la subversion. Dans cette lutte à mort, nous le savons,
la Rome historique ne capitula jamais, quand bien même ses patriciens,
subjugués par le spectre de Remus, laissèrent franchir les murs sacrés de
l’Urbs par la décadence qu’accompagnait le chant des sirènes d’une vision
« progressiste » de l’histoire, ou bien quand la mode de l’exotisme entreprit
de démanteler le mos maiorum et que les cultes orientaux se substituèrent
au cultus Deorum, ou enfin lorsque les philosophies rationalistes
enseignèrent le mépris de la sagesse originelle et que, au sang des
légionnaires, on préféra l’amour de l’or des mercenaires : c’est pour avoir
oublié leur origine et leur mission que les derniers Romains furent balayés
par la barbarie et le chaos charriés par l’irruption de la modernité.
Or, nous savons que le cycle de l’histoire doit parcourir la totalité de sa
course, et que l’Âge de fer doit consumer toutes les scories de la
décadence afin que puisse revenir le premier roi, Saturne.
Demandons-nous, alors, de quoi Rome – ultime siège du mos maiorum
est née.De quoi, sinon d’une vision spirituelle, sacrée, divine de l’homme ?
De quoi, sinon de la conscience d’être née de Vénus et de Mars, de l’amour
et de la guerre ?
Il s’agit de réaccorder en nous esprit, sang et sol, silence, rythme et forme,
principe, volonté et sens du symbole – de faire de notre conscience un
centre anagogique en lequel convergent toutes les aspirations de l’Être
dans son combat contre les forces d’en bas.
Nous voulons nous inspirer de nos aïeux et donner corps à ces idéaux
éternels, le regard tourné vers le ciel – penser et agir avec dignité en
prenant soin de la nature, fiers de notre lignée et de notre héritage
culturel, nous hisser du particulier à l’universel en tant qu’incarnation du
Divin et distinguer dans tout ce qui existe une partie de soi-même à
protéger, nourrir et faire fructifier.
C’est dans cette flamme intérieure, dans cette vision de l’Archétype, dans
cette lutte pour l’affirmation de la Lumière, dans l’immense honneur qui
nous a été fait d’être les descendants de tels hommes que réside l’héritage
de la Rome métahistorique.

Il nous revient de revendiquer cette hérédité, de susciter les mêmes forces
en nous et de vivre selon ses principes élevés – et non pas de faire des
discours ou de rêver d’événements dramatiques exceptionnels – afin
d’incarner et de transmettre, dans chacun des gestes de notre vie
quotidienne, cette mémoire toujours vivante afin que la Rome éternelle,
comme le Soleil invaincu, revienne féconder ce monde.
Ad maiora !